L’ANSES (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) définit le bien-être animal comme “l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal”.
De nos jours, le cheval est utilisé dans de nombreux secteurs : élevage, course, sauts d’obstacle, randonnée, équithérapie… Bien que cette pluralité de domaines multiplie les manières dont il est perçu, l’intérêt pour son bien-être n’a cessé de croître ces dernières années, et de nombreux indicateurs permettent de l’évaluer.
Dans cet article, nous allons faire un rapide état des lieux de l’histoire du bien-être équin, puis nous analyserons différents indicateurs qui permettent de faire une première évaluation multidimensionnelle et nous finirons par lister quelques actions qui ont été mises en place par les institutions pour lutter contre la maltraitance.
Le bien-être équin, un concept complexe
La première mesure législative concernant la protection des animaux est apparue au Royaume-Uni, au début du 19ème siècle. Le “Cruel Treatment of Cattle Act” a été ratifié, punissant l’acte de “battre, abuser, ou maltraiter tout cheval, jument, hongre, mule, âne, bœuf, vache, génisse, bouvillon, mouton ou autre bétail“. Les États-Unis et la France ont, à la suite, également inscrit dans leurs lois les infractions de cruauté envers les animaux.
Ce n’est que plus d’un siècle plus tard que les mentalités ont changé, passant de la notion de protection des animaux à la notion de bien-être animal. D’ailleurs, en 1976, la loi française reconnaît les animaux comme des êtres sensibles devant être détenus dans des conditions adaptées à leurs besoins biologiques.
En 1977, le concept tridimensionnel du bien-être animal proposé par Fraser et al., intégrant les cinq libertés animales (FAWC, 1993), prouve qu’il existe une forte corrélation entre le bien-être physique, le bien-être émotionnel et le caractère naturel.
Les « cinq libertés », principes de base pour assurer le bien-être des animaux (d’après FAWC, 2009).
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- Absence de faim et de soif par la possibilité d’accéder librement à de l’eau et de la nourriture saines pour le maintien d’un bon niveau de santé et de vigueur ;
- Absence d’inconfort grâce à un environnement approprié, incluant un abri et une aire de repos confortable;
- Absence de douleur, de blessures et de maladie par des mesures de prévention ou un diagnostic rapide, suivi du traitement approprié;
- Liberté d’expression d’un comportement normal grâce à un espace suffisant, des installations adaptées et la compagnie d’autres congénères ;
- Absence de peur et de détresse en veillant à garantir des conditions de vie et un traitement des animaux évitant toute souffrance mentale.
Le projet « Welfare Quality® » (2004), intégrant les multiples dimensions du bien-être animal a également été développé à partir des cinq libertés (Fraser et al.). Le protocole d’évaluation du bien-être équin AWIN établi 12 critères d’évaluation issus de quatre grandes dimensions :
Quelle que soit l’approche adoptée, les scientifiques s’accordent à dire que le bien-être animal est un concept complexe et multidimensionnel, qui reflète la perception subjective d’un organisme par rapport à une situation chronique.
Paramètres de mesure du bien-être équin
Les paramètres physiologiques d’un cheval dans une situation dite “normale”, c’est à dire chez un cheval “sain”, ne souffrant d’aucun manque et n’étant pas confronté à une situation stressante, seront comme tel :
Le poids :
Avec la diversité des races existantes chez les chevaux, races légères (arabe) et races lourdes (chevaux de trait), le poids moyen varie fortement. Deux formules d’estimation du poids existent cependant :
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- Poids Vif = (4,3 x périmètre thoracique) + (2,6 x hauteur au garrot) – 785
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- Poids = ((périmètre thoracique)2 x longueur poitrail-pointe de la hanche) / 8700
Un cheval en sous-poids peut être atteint de divers parasites, tumeurs, pathologies et affections. Au contraire, le surpoids chez les chevaux peut, entre autres, engendrer des problèmes sur le système cardio-respiratoire, augmenter le risque de fourbures, de maladies orthopédiques ou encore faire baisser la fertilité.
La fréquence cardiaque :
Au repos, la fréquence cardiaque d’un poulain se situe entre 50 et 70 battements par minute. Au contraire, chez un cheval adulte, une fréquence cardiaque à plus de 50 battements par minute au repos est considérée comme anormale, puisqu’elle varie en moyenne autour de 28 à 44 battements par minute (AAEP). Comme les autres paramètres, la fréquence cardiaque peut varier en fonction du cheval et des facteurs externes.
La fréquence respiratoire :
Au repos, la fréquence respiratoire moyenne d’un cheval se situe entre 12 et 24 mouvements respiratoires par minute. Après un entraînement intensif, elle peut monter jusqu’à 45 expirations par minute (AAEP).
La température :
La température normale chez un cheval varie entre 36° et 38° (Hall and al). Là aussi il existe des variations physiologiques en cas d’effort, de stress, et même de sexe, puisque la température rectale moyenne d’un étalon est de 37,5°, 37,8° pour une jument, contre 38,5° pour un poulain.
Les muqueuses :
Les muqueuses doivent être de couleur rose. Une couleur plutôt pâle traduira une anémie, une couleur foncée (rouge) indiquera une congestion et des muqueuses jaunâtres peuvent révéler un problème d’ictère.
Les urines :
Généralement, un cheval urine entre 6 et 8 fois par jour, en fonction de son physique et des conditions climatiques. En termes de quantité journalière, cela représente 3 à 18 ml par kg de poids. Chez un cheval sain, les urines sont généralement claires.
Cependant, il est complexe d’appréhender les signaux physiologiques du bien-être, car il peut s’écouler un long moment avant qu’une modification ne soit reflétée dans ces paramètres. De plus, certains changements internes à court terme (comme les hormones) peuvent aussi bien refléter des situations chroniques que ponctuelles. Les preuves scientifiques (Visser and al ; Harewood and al ; Fejsakova and al) concluent donc que les scores hormonaux et de fréquence cardiaque peuvent refléter des états désagréables potentiellement intermittents mais qu’ils ne peuvent pas être utilisés de manière fiable pour évaluer le bien-être.
Le suivi régulier de la santé du cheval :
Le monitoring des paramètres physiologiques du cheval permet de prévenir ces changements. Par exemple, une augmentation de la fréquence cardiaque peut être synonyme de stress, d’inconfort ou d’un mal-être chronique. Certains objets connectés sont utilisés pour réaliser un suivi de l’évolution du bien-être, du suivi en clinique ou de la récupération du cheval. Ces outils utilisés au repos, permettent par exemple de mesurer l’électrocardiogramme, l’activité, la position, la fréquence respiratoire du cheval, à distance et pendant plusieurs jours et nuits d’affilée.
Divers facteurs physiques et comportementaux sont susceptibles d’indiquer à la fois la libération de contraintes chroniques et une situation ponctuelle positive. Pour assurer le bien-être de l’animal, il est important de vérifier l’absence de blessures ou de zones enflées après un entraînement ou une compétition. La recherche de la présence de prolapsus (utérins, anaux ou vaginaux) fait partie du protocole d’évaluation du bien-être AWIN, ces derniers étant considérés comme des signaux d’atteinte au bien-être (Hewes and al). L’évaluation de l’état des sabots est également souvent incluse dans les protocoles d’évaluation, tout comme les symptômes tel que la toux ou les écoulements oculaires, nasaux, génitaux.
Lorsqu’un cheval modifie sa locomotion, cela indique généralement un inconfort voire une douleur. Une asymétrie locomotrice, une raideur, une baisse importante de motivation au travail… Peuvent indiquer une boiterie naissante. Les boiteries, potentiellement liées à une douleur ou un inconfort aigu (Ross and al), peuvent révéler des problèmes chroniques (Landman and al) et devenir ainsi un problème de bien-être.
L‘évaluation clinique des boiteries est généralement basée sur une évaluation visuelle. Les échelles et les méthodologies utilisées variant fortement d’une étude à l’autre et, rendant leur évaluation complexe, elles ne peuvent pas être considérées comme un indicateur de bien-être en soi. L’intérêt pour la santé animale n’ayant cessé de prendre de l’importance ces dernières années, de nombreux outils ont été développé afin de les comprendre et de les soigner au mieux. C’est dans ce contexte que les outils de quantification de la locomotion sont récemment apparus, permettant une évaluation précise et objective de la locomotion du cheval. A termes, ces outils pourraient être utilisés comme référence, permettant une mesure éclairée de la locomotion du cheval.
Enfin, l’analyse des indicateurs comportementaux est également très complexe, puisque dans la plupart des cas, ils peuvent traduire aussi bien une situation positive que négative. Par exemple, la mastication ou le bâillement sont souvent considérés comme des signaux de détente, indiquant une situation positive de bien-être. Cependant, ils peuvent tout aussi bien être déclenchés par des situations stressantes et négatives (Walusinski and al). D’ailleurs, des taux importants de bâillements ont été observés chez les chevaux lors de situations ambiguës ou frustrantes (Rochais and al) ou de maladies chroniques (Pearson and al).
Comment encourager et garantir le bien-être du cheval ?
Le bien-être équin étant au coeur des préoccupations, les études et recherches à son sujet se multiplient. De nombreux acteurs de la filière équine, dont les institutions nationales et internationales, ont travaillé en collaboration et proposent aujourd’hui des solutions pour l’encourager et le favoriser.
- La Fédération Équestre Internationale (FEI), fondée en 1921, est l’organisme international de réglementation du sport hippique, reconnu par le Comité international olympique (CIO). Elle a lancé, en 2013, un Code de Conduite pour le bien-être des chevaux.
- La Fédération Internationale des Autorités Hippiques (FIAH), qui a été fondée en 1993, vise à promouvoir des pratiques saines et réglementées, préservant l’intégrité de l’industrie internationale des courses hippiques. Son rôle est notamment de coordonner et harmoniser les règles relatives à l’élevage, aux courses et aux paris ; d’assurer la qualité et l’équité des courses pour les éleveurs et le grand public ; de protéger le bien-être des chevaux, des jockeys et des amateurs de courses hippiques et de s’assurer que l’industrie des courses hippiques reste à jour sur les questions techniques, sociales et économiques.
- La Confédération Internationale du Sport Hippique (CISH) a été créée en 2013 grâce à l’union de la Fédération Équestre Internationale (FEI) et de la Fédération Internationale des Autorités Hippiques (FIAH). L’CISH a pour principale mission d’encourager la coopération et l’échange d’informations sur toutes les questions d’intérêt mutuel (entre la FIAH et la FEI), ainsi que de représenter les intérêts collectifs de la filière équine auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE) et d’autres organismes internationaux. Elle signe d’ailleurs, en 2019, aux côté d’autres fédérations, une Déclaration Commune pour le bien-être animal ainsi qu’une Charte de Bien-Être du cheval quelques années plus tard, en 2020.
- Véritable acteur du monde des courses, le Racing Victoria fait de très importants investissements au service du bien-être équin, étant à l’origine de nombreux projets. Comme par exemple, la mise en place d’un conseil consultatif sur le bien-être des équidés (composé de quatre experts indépendants en bien-être des équidés et en médecine vétérinaire) ou encore l’augmentation des contrôles et le développement de la formation. Plus de 10 millions de dollars australiens ont déjà été dédiés à ces projets, et un second investissement de 15 millions supplémentaires est prévu afin de défendre cette cause.
- Côté français, en 2016, toute la filière cheval s’est réunie au Salon de l’Agriculture pour signer, sous l’égide de la FNSEA, la Charte pour le Bien-Etre Equin. Cette dernière a été ratifiée par l’AVEF, la FFE, France Galop, Le Trot, la FNC et le GHN.
- D’autres initiatives ont également été mises en place, comme le label EquuRES qui est aujourd’hui la seule démarche de qualité en faveur de l’environnement et du bien-être animal spécifiquement développée pour les structures équines, ou encore le guide de bonnes pratiques publié par la FFE en 2021.
Le bien-être équin fait partie des grands challenges pour les années à venir, et de nombreuses actions ont déjà été mises en place. La stratégie des acteurs de la filière équine ne cessent d’évoluer, avec en tête un objectif commun : protéger et conserver l’intégrité physique et psychologique du cheval.
Conclusion
La plupart des signaux décrits dans cet article ne sont pas spécifiques de l’altération du bien-être puisqu’ils peuvent indiquer aussi bien des états aigus que chroniques. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme signes évidents d’atteinte au bien-être. Cependant, leur étude, si elle est défavorable, doit impérativement conduire à un examen plus approfondi de l’animal.
Le bien-être animal est un domaine de recherche très intéressant mais aussi très difficile, où de fortes croyances émotionnelles et populaires (Korte and al) risquent de l’emporter sur les preuves scientifiques. Cependant, le suivi régulier de la santé du cheval permet d’optimiser son bien-être et de minimiser les situations qui peuvent l’impacter négativement.
Devant l’importance et l’urgence que représente l’assurance du bien-être animal, les plus grandes institutions ont su travailler ensemble, et avec différents acteurs du monde équin, dans l’élaboration de stratégies permettant de surveiller les mauvaises pratiques et d’encourager les bonnes. À plus petite échelle, de nombreux acteurs locaux proposent également des actions, défendant une cause qui n’a pas fini de prendre de l’importance…
Mots-clés : bien-être équin, protocole AWIN, vétérinaires équins, suivi de la santé du cheval
Lesimple, C. (2020). Indicators of Horse Welfare: State-of-the-Art. Animals, 10(2), p.294. https://doi.org/10.3390/ani10020294
Popescu, S., Diugan, E.A. and Spinu, M. (2014). The interrelations of good welfare indicators assessed in working horses and their relationships with the type of work. Research in Veterinary Science, 96(2), pp.406–414. http://dx.doi.org/10.1016/j.rvsc.2013.12.014
Czycholl, I., Klingbeil, P. and Krieter, J. (2019). Interobserver Reliability of the Animal Welfare Indicators Welfare Assessment Protocol for Horses. Journal of Equine Veterinary Science, 75, pp.112–121. https://doi.org/10.1016/j.jevs.2019.02.005