L’analyse vidéo est aujourd’hui devenue un outil essentiel dans l’évaluation des athlètes de haut niveau, aussi bien pour l’optimisation de la performance que pour la gestion de la santé. Cela explique que l’analyse vidéo soit aujourd’hui généralement considérée comme une fonction à part entière de l’équipe qui entoure le sportif.
Dans l’expertise vétérinaire équine, les images vidéos permettent entre autres de voir les mouvements articulaires plus en détail, de les mesurer et de les quantifier. En effet, lors de l’évaluation instantanée de la locomotion d’un cheval, plusieurs facteurs peuvent impacter la perception ; par exemple, la présence de poils qui nuit à l’appréciation des mouvements articulaires dans la zone basse des membres.
Mais comment les vétérinaires et chercheurs utilisent-ils cette technique ? Comment l’enregistrement vidéo, corrélé à la quantification de la locomotion, peut-il supporter le diagnostic vétérinaire ?
L’analyse cinématique de la locomotion du cheval
Les premières études cinématiques de la locomotion du cheval remontent au XIXème siècle. À cette époque, les possibilités offertes par la photographie – et plus particulièrement la chronophotographie – permettent aux scientifiques d’exploiter de nouvelles techniques. Dans les années 1870, Marey et Muybridge se servent de ces méthodes pour décomposer le mouvement des chevaux. En rapprochant plusieurs séquences, ils arrivent à “arrêter le mouvement” du cheval, et à voir avec précision des détails non perceptibles à l’œil nu ! Leur principale découverte étant le temps de suspension du cheval au galop, durant laquelle aucun des 4 membres ne touche le sol.
Depuis, de nombreuses études sur la locomotion du cheval ont été réalisées, évaluant également la corrélation entre le diagnostic vétérinaire établi après une évaluation en direct, et celui établi après une évaluation vidéo.
En 2014, Rungsri and al démontrent que lors de l’évaluation par vidéo, la concordance du diagnostic était modérée pour les vétérinaires expérimentés – 74% (k=0,52) – et modérément expérimentés – 70% (k=0,48) – mais faible pour le groupe des internes – 67% (k=0,40). Pour conclure, l’étude indique que le biais d’attente, pouvant parfois affecter la perception, est généralement plus important lors d’une évaluation en situation réelle que pour une évaluation vidéo.
Quelques années plus tard, l’étude d’Hardeman and al (2020), montre également que la relation entre le degré de boiterie et l’asymétrie objective différait légèrement entre les vétérinaires, pour les évaluations en direct et les évaluations vidéos. Bien qu’il y ait eu des différences statistiquement significatives entre le classement subjectif et les mesures objectives en comparant l’évaluation en direct et l’évaluation par vidéo, les résultats des évaluations en direct et par vidéo restaient similaires d’un point de vue pratique. Par exemple, une boiterie du membre antérieur d’un grade identique, correspondait à 36 mm pendant l’évaluation vidéo contre 29 mm pendant l’évaluation en direct. Ces résultats suggèrent que les vidéos de haute qualité peuvent être une méthode valide pour les examens rétrospectifs. Il s’agit d’une conclusion importante : l’examen vidéo permet aux vétérinaires de calibrer leur évaluation subjective par rapport à l’analyse objective ou aux évaluations subjectives de leurs collègues, et/ou d’obtenir ou de fournir un deuxième avis dans les cas complexes. Un autre élément essentiel soulevé par cette étude est que les vidéos de haute qualité peuvent constituer un élément précieux pour la documentation clinique. Particulièrement dans le domaine de l‘éducation, avec les vidéos associées à l’analyse quantitative de la locomotion pouvant être utiles pour apprendre à reconnaître et classer les boiteries lors d’un examen orthopédique.
Diagnostic vétérinaire : quels avantages à l’analyse vidéo ?
L’enregistrement vidéo est sans doute une technique à ne pas négliger pour supporter le diagnostic vétérinaire. Par exemple, pour voir une asymétrie de protraction, la vidéo est indispensable, puisque le cheval a une locomotion très rapide (une foulée = 0,5 seconde, un temps d’appui = un dixième de seconde). Pour établir un diagnostic, il est donc nécessaire de pouvoir apprécier correctement les modifications qui se passent dans une durée aussi courte. Pour cela, la vidéo est un précieux support offrant de nombreux avantages :
- Optimisation du diagnostic – L’enregistrement vidéo permet d’étudier la locomotion normale et anormale du cheval, notamment en se focalisant, à postériori, sur une certaine région. En effet, il est impossible lorsqu’un cheval se déplace de se concentrer instantanément sur les différentes parties de son corps. Lors de l’examen vétérinaire, il peut notamment être intéressant de filmer la locomotion du cheval d’un angle différent à celui du vétérinaire, pour pouvoir faire une analyse complète de la locomotion, de côté et/ou de face et/ou de trois quarts.
- Détection des évènements invisibles à l’œil nu – En permettant de se concentrer sur les déplacements zone par zone, l’analyse vidéo permet de voir des événements invisibles à l’œil nu. Plus généralement la vidéo, en pouvant être ralentie, permet de décomposer les mécanismes de protraction / temps d’appui / propulsion, les mouvements articulaires de flexions / extensions et également les différentes mécaniques musculaires. Par exemple, le mouvement de flexion des articulations basse des membres ne sont pas détectables à l’œil nu en mouvement.
- Analyse des mouvements en cercle – La locomotion du cheval en cercle est une tâche complexe à interpréter. Ce n’est pas évident puisqu’il faut faire une analyse en 3D, afin de comprendre comment le cheval est capable de coordonner ses différents groupes musculaires.
- Partage des examens – Lorsqu’un examen locomoteur est filmé, il est possible de revoir l’examen à tout moment et sans limite de temps. Cela peut être d’un grand support pour effacer des doutes, ou pour comparer deux examens – avant/après un traitement – avant/après une pause hivernale… Cela peut également permettre de demander un avis à un collègue, sans limite de temps ou contrainte géographique.
- Perfectionnement de la formation vétérinaire – Comme indiqué dans l’étude d’Hardeman, le stockage vidéo d’examen locomoteur, corrélé à la quantification de la locomotion, est une réelle valeur ajoutée pour la formation vétérinaire. Elle permet aux étudiants ou aux jeunes collaborateurs de s’entraîner à tout moment, pour former leur œil à l’exercice complexe qu’est le diagnostic et l’évaluation de boiterie. Couplée à des modules d’e-learning, cette approche pédagogique peut devenir indispensable dans les prochaines années.
CONCLUSION
L’utilisation de l’analyse vidéo à plus grande échelle, toujours corrélée avec l’expertise vétérinaire, contribuera à rendre le diagnostic et le traitement des asymétries locomotrices encore plus précis. L’analyse de la vidéo, couplée aux données de quantification de la locomotion, est un élément clé pour la documentation, la communication entre les vétérinaires et la formation des étudiants.
SOURCES :
LA (2020). Locomotion équine au ralenti, et techniques d’analyse du mouvement. Dailymotion. Available at: https://www.dailymotion.com/video/x7q9xy1
Rousseau, R., Frey, A., Chiquet, L., Rousseau, D., Sene, J.-M. ., Deviere, F. and Vesselle, B. (2017). Analyse vidéo et traumatismes en compétition de judo de haut niveau : étude pilote. Journal de Traumatologie du Sport, 34(3), pp.161–167. doi:10.1016/j.jts.2017.06.002.
Hardeman, A.M., Egenvall, A., Serra Bragança, F.M., Swagemakers, J., Koene, M.H.W., Roepstorff, L., Weeren, R. and Byström, A. (2022). Visual lameness assessment in comparison to quantitative gait analysis data in horses. Equine Veterinary Journal, 10. doi:10.1111/evj.13545.
Mots-clés: analyse vidéo, diagnostic vétérinaire, activité vétérinaire, pratique vétérinaire, asymétrie locomotrice, boiterie, outil de quantification de la locomotion, EnvA, CIRALE